dimanche, décembre 10, 2006

Entre manipulation et éthique

Sommaire et éditorial de ce numéro spécial
Entre manipulation et éthique




SOMMAIRE


ÉDITORIAL…………………………………………………………..
par Yves Chirouze et Denis Benoit
Instrumentalisation de la sémiotique au service de la publicité et du marketing : état des lieux ...……………………………………………
par Gilles Lugrin
Une éthique de la communication : la requête (ou revendication) impossible………………………………………………………………
par Denis Benoit
Des théories anti-capitalistes et des pratiques capitalistes. La récupération des idées critiques par le marketing et la publicité.............
par Laurent Béru
La communication politique en France, un état des lieux……………...
par Cécile Maunier
Marketing interne et « écoute » des salariés dans un service de communication : entre reconnaissance de sujet et manipulation d’objet………………………………………………………………….
par Laurent Morillon
Les mécanismes d’influence d’un film : entre manipulation, éthique et co-construction du sens………………………………………………...
par Alexandre Chirouze












ÉDITORIAL


L’application de la recherche en communication, ou encore celle des « sciences de la communication » au sens le plus large de l’expression, renvoie aujourd’hui d’une façon quotidienne, et massive, aux phénomènes de l'influence et de la persuasion dans les espaces publics et privés : au « faire passer une image » auprès d'un certain public, au « réussir » un rapport interpersonnel en induisant chez autrui un changement de comportement, à l' atteinte d’un objectif de vente en matière commerciale ou d’engagement en matière politique, etc.
Relativement à ces pratiques, finalement très ordinaires sinon parfaitement banales dans nos sociétés dites « de communication », deux questions fondamentales nous ont guidés dans la préparation de ce nouveau numéro thématique de Marketing & Communication.
Première interrogation : quels sont donc les savoirs sur lesquels se fondent les techniques d’influence employées et comment, selon quelles modalités, s’effectue la transposition des connaissances théoriques au concret ? On sait en effet que, pour employer une expression générique, l’étude de la « communication persuasive » demeure à ce jour désorganisée, morcelée à l’intérieur de diverses disciplines académiques, et qu’un cadre d’ensemble permettant d’articuler les connaissances sur ce vaste thème reste à construire. Encore faut-il sans doute commencer par identifier précisément lesdites disciplines et leurs domaines d’application. Dès lors, ce numéro aborde des champs aussi variés que la communication commerciale et publicitaire, la communication interne, le cinéma et l’audiovisuel, la communication politique…
La seconde question posée est relative à la problématique morale liée à l’instrumentalisation de ces concepts et théories dans un domaine aussi délicat et sensible que peut l’être la relation humaine, le rapport humain interpersonnel et social. Autrement dit, il s’agit ici de se questionner sur les aspects éthiques et/ou déontologiques relatifs à l’application au marketing (au sens large) de connaissances issues de la recherche en sciences humaines, en sciences cognitives et plus généralement, nous l’avons dit, en sciences de la communication. Est-il donc possible, éthiquement parlant, de justifier les types d’action persuasive – particulièrement performants, on le sait… – que nous connaissons aujourd’hui et qui, du neuromarketing à la soumission librement consentie, « flirtent » avec la manipulation au sens le plus péjoratif du terme ?
On peut du reste remarquer que ces deux interrogations a priori indépendantes sont en fait, depuis la naissance de la réflexion sur ce thème de l’influence, étroitement reliées : elles renvoient à la problématique d’ensemble que le véritable précurseur (ou l’« ancêtre ») des recherches sur la communication persuasive, la rhétorique grecque – en tant qu’art de la persuasion mais aussi théorie et enseignement de cet art – plaçait au cœur même de ses préoccupations.

Dans le premier article de ce numéro, Gilles Lugrin décrit les différentes utilisations de la sémiotique dans les domaines de la communication et du marketing. Au-delà de l’analyse de messages publicitaires, il montre l’intérêt des approches sémiotiques pour analyser, créer, pré-tester tous les outils de communication mais aussi pour contribuer à l’écoute des consommateurs, à la segmentation du marché, au positionnement, à l’innovation et à la gestion de portefeuille de marques, autrement dit au marketing.
Denis Benoit s’interroge sur les raisons du discrédit actuel de la communication et sur les accusations qui lui sont faites de manipuler les individus, cela quel que soit le domaine d’application. Il en conclut qu’il n’y a pas à proprement parler d’éthique de la communication puisque cette dernière est amorale. En revanche, il croit au développement de l’éthique en communication, dans la mesure où les communicants sont susceptibles d’en introduire dans leurs comportements. Il propose alors des critères et des gardes fous pour assurer des pratiques éthiques de communication.
Laurent Béru analyse une récupération qui peut surprendre : celle des théories anti-capitalistes, généralement marxistes, par les créatifs du marketing et de la publicité afin de promouvoir les échanges et l’économie de marché. Il en montre les raisons, le mécanisme et ses effets positifs. Le détournement des symboles gauchistes et le développement du marketing autour de ses responsabilités sociétales, environnementales et humanitaires accentuent, selon lui, cette logique antinomique de la militance et du marketing.
Cécile Maunier nous présente les fondements de la communication politique et ses différentes conceptions. Après avoir décrit les outils et les techniques, ainsi que les pratiques les plus récentes, notamment en France et en ligne, elle en fait une analyse critique et une évaluation éthique. Celles-ci la conduisent à faire des propositions qui permettent d’encourager la mobilisation des citoyens sans qu’ils soient manipulés et agressés dans leur vie privée, dans le respect des adversaires politiques, conditions sine qua none à toute démocratie.
Laurent Morillon s’intéresse aux concepts de marketing interne ainsi qu’aux démarches d’écoute des salariés. En partant d’une recherche action qu’il a réalisée dans le but d’améliorer la qualité de supports de communication interne, il répond aux questions méthodologiques et éthiques que pose ce type de recherche. L’auteur en tire des conclusions quant à la responsabilité morale d’un chercheur impliqué dans une recherche action, à l’instrumentalisation de la science et aux règles morales et déontologiques à respecter dès lors que l’objet de la recherche est la participation d’êtres humains.
Enfin, Alexandre Chirouze traite des mécanismes de construction de sens dans les films. Il fait une synthèse des théories du cinéma et de la grammaire cinématographique avant de décrire les risques de manipulation dont certains sont prévus dans des codes de déontologie. Puis, l’auteur présente les résultats d’une étude expérimentale qu’il a réalisée pour confronter le vécu des spectateurs avec les codes filmiques les plus respectés par les professionnels de l’audiovisuel.
Ces sept articles ouvrent de nouvelles perspectives, décloisonnent des disciplines telles que la sémiotique et la sémiologie du cinéma, nourrissent les théories et les pratiques du marketing et de la communication dans un esprit nouveau : le souci des autres.


Yves Chirouze et Denis Benoit

L'intelligence économique

Sommaire et éditorial de ce Numéro spécial (12/2006)



L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE


SOMMAIRE



ÉDITORIAL…………………………………………………………..
par Yves Chirouze et Nicolas Moinet
Perspectives et enjeux politiques de la veille médiatique audiovisuelle.………………………………………………………….
par François-Xavier Ajavon
L’intelligence économique : un concept managérial………………….
par Sophie Larivet
Le cycle du renseignement : analyse critique d’un modèle empirique...
par Franck Bulinge
Le rôle des acteurs dans un dispositif régional d’intelligence économique ………………………………………………………….
par Audrey Knauf
L’intelligence économique dans un pays à contexte culturel fort : cas de la République Populaire de Chine………………………………
par Eric Milliot
Les fondements de l’intelligence économique : réseaux et jeu d’influence………………………………………………………..
par Guy Massé, Christian Marcon et Nicolas Moinet
L'intelligence des risques ………………………………………….
par Bernard Besson et Jean-Claude Possin










Editorial

par Yves Chirouze et Nicolas Moinet


« L’intelligence économique sera au XXIème siècle
ce que le Marketing a été dans les années 1970 ».

Alain Juillet
Haut Responsable en charge de
l’Intelligence Economique
auprès du Premier Ministre

Dans le rapport de la mission parlementaire dirigée par Bernard Carayon qui fut remis le 30 juin 2003 au Premier ministre français, il apparaît que « l’expression d’intelligence économique n’est encore connue que d’initiés » et que les nombreuses définitions qui en furent données ont paradoxalement parfois plus favorisé l’ambiguïté que la clarté et contribué à la confusion avec d’autres disciplines telles que la veille, le knowledge management et l’espionnage industriel.
Plus de dix ans après la parution du rapport du Commissariat au Plan intitulé « Intelligence économique et stratégie des entreprises » – dit rapport Martre (1994) du nom de son Président Henri Martre – la mission parlementaire conclut que la situation a bien changé et dans le bon sens.
Il n’en demeure pas moins vrai que, selon Bernard Carayon, la France est toujours « très en retard par rapport à ses concurrents » et qu’elle connaîtra l’un des deux scénarii de rattrapage suivants : « si l'on reste dans un cadre administratif d'actions, il faudra de très nombreuses années, dix ans peut-être. Si, en revanche, il y a une véritable impulsion des autorités de l'Etat, en deux ans à peine on peut retrouver le niveau de nos concurrents » (Interview accordée au Journal du Management, 30/11/2005).
Dans ce contexte et avec l’espoir d’apporter sa pierre à l’édifice, la Revue Marketing & Communication a décidé de publier les derniers développements théoriques et pratiques sur l’intelligence économique. Pour coordonner ce numéro thématique, elle a fait appel à Nicolas Moinet qui vient de publier, en collaboration avec Christian Marcon, un ouvrage intitulé « L’intelligence économique » aux éditions Dunod (2006). Dans un souci à la fois éthique et pédagogique, ils ont souhaité que nous placions à la fin de cet éditorial une sélection d’ouvrages récents sur l’intelligence économique.
Contrairement à ce que certains prétendent, toutes les techniques utilisées en I.E. ne sont pas nouvelles. L’intelligence économique, comprise comme une démarche globale visant la maîtrise de l’information stratégique utile aux acteurs économiques, appelle à la fois la mise en œuvre de démarches bien connues et une petite révolution culturelle. Certes, rechercher et exploiter l’information stratégique, protéger son patrimoine immatériel, manager ses connaissances ou influencer son environnement est, à des degrés divers, le quotidien de toute organisation. Oui mais voilà. Dans nos sociétés technologiques, la masse d’informations disponibles via les réseaux, leur rapidité de circulation et de péremption créent un sentiment anxiogène qui, telle une spirale infernale, appelle la consommation d’autres informations ou la mise en œuvre de véritables boucliers. Autrement dit, la maîtrise globale de l’information stratégique n’est pas seulement une question d’avantage concurrentiel, c’est une nécessité vitale.
C’est ce que montre François-Xavier Ajavon dans son article sur la veille médiatique et la nécessité pour tout homme public de « surveiller » son image et ses reflets médiatiques. Savoir pour agir. Dès lors, la question n’est pas tant d’utiliser tel ou tel outil de veille, de sécurité ou de gestion des connaissances que d’intégrer l’intelligence économique dans un management plus global.
C’est pourquoi Sophie Larivet propose une approche managériale de l’Intelligence Economique, approche que toute entreprise, quel que soit sa taille ou son secteur d’activité, peut s’approprier, illustrant son propos par le cas d’une petite entreprise du secteur du BTP.
« Les mauvais ouvriers ont les mauvais outils » dit la sagesse populaire. C’est pour éviter cet écueil que Franck Bulinge procède à une analyse critique du modèle empirique appelé cycle du renseignement, une méthodologie de référence dont l’intérêt pédagogique ne doit pas masquer néanmoins les limites dès lors qu’il s’agit de passer au niveau opérationnel. Cette confrontation permanente entre la théorie et la pratique ne vient-elle pas d’ailleurs prouver que si l’intelligence économique est certes une affaire de professionnels, sa pertinence est nécessairement liée à des analyses critiques plus académiques ?
Protéiforme, l’intelligence économique et ses multiples composantes qui vont de la veille à l’influence se doit de penser la transposition de ses méthodes aux multiples terrains où elle s’applique. C’est ce à quoi nous invite Audrey Knauf dans une analyse sur le rôle des acteurs dans un dispositif régional d’intelligence économique et plus particulièrement la place de l’infomédiaire en tant que médiateur et animateur du dispositif.
De même, Eric Milliot analyse la réalité de l’intelligence économique dans un pays à contexte culturel fort, la République Populaire de Chine, en insistant sur le rôle-clé des réseaux sociaux.
Au final, être en intelligence avec son environnement, c’est savoir dans le but d’agir, de réagir et si possible d’anticiper. Tel est le point de départ de la contribution de Guy Massé, Christian Marcon et Nicolas Moinet. En analysant les fondements de l’intelligence économique sous l’angle des réseaux et de l’influence, ils nous invitent à passer de la théorie des jeux à une théorie des joueurs.
Enfin, Bernard Besson et Jean-Claude Possin développent la notion d'intelligence des risques et cette posture qui consiste à penser l’impensable et à n’avoir peur que d’une chose : de la peur elle-même.

Ces sept articles firent l’objet d’une sélection très rigoureuse parmi de nombreuses propositions reçues à la suite d’un appel à contribution. Notre comité de lecture les a choisis pour leur originalité, la qualité de leur apport théorique ou l’exemplarité des applications décrites afin que vous puissiez vous approprier les techniques de l’intelligence économique les plus récentes et que vous les mettiez rapidement en pratique.


Yves Chirouze et Nicolas Moinet